L’homme ne quitte jamais sa casquette, vissée solidement sur le crâne. On en vient à se demander à quoi il ressemble aujourd’hui. Philippe Poupon, « nu de la tête". Il y a 30 ans, c’était presque pareil. A Saint-Malo avant le départ de la Route du Rhum, Philippe Poupon se prête au jeu des interviews dans son bateau tout neuf, coiffé.
Poupon est là depuis le début de l’aventure du Rhum. C’est sa troisième participation et cette fois ci, le marin a été « rangé » parmi les favoris.
« Je me suis battu comme un fou»
Philippe Poupon
Deux ans plus tôt, Poupon a été giflé, violemment. A l’arrivée de la prestigieuse Transat anglaise, il réalise un temps record et franchit le premier la ligne de la délivrance.
Avant lui, Tabarly, Colas ont défié les anglais en ramenant le trophée en terre gauloise. La victoire est immense pour l’élève Poupon. Mais quelques heures plus tard, le marin est déchu de son titre. Après avoir porté assistance à Philippe Jeantot, Yvon Fauconnier est crédité de 16h sur son temps de course. L’arithmétique lui est favorable. Poupon est relégué à la deuxième place.
Il va garder longtemps un goût amer de cet épisode.
En ce mois de novembre 1986, trente-trois bateaux se préparent à larguer les amarres depuis la cité corsaire pour rejoindre les alizées et mettre le cap vers les Antilles. La flotte est moins étoffée que lors de la précédente édition mais la taille des bateaux, elle, est toujours plus gigantesque.
Une fois de plus, le Rhum dynamise l’architecture navale et devient la place forte où l’on va observer les tendances, les évolutions des machines.
Malinovski cloué sur un lit d’hôpital
Les monocoques ont encore pris un coup dans l’aile. Ils ne sont plus que cinq marins à faire de la résistance dont Michel Malinovski, célèbre second malchanceux de l’édition 78. Le tempérament imprévisible des multicoques ne correspond pas au caractère entier du marin. Malinovski s’accroche donc à sa monture à coque unique, elle aussi démesurée pour un solitaire. Kritter VIII devenu Macif mesure près de 23m.
Mais à quelques jours du départ, Michel Malinovski voit son rêve de Rhum une nouvelle fois sombrer.
Un accident de voiture le cloue sur un lit d’hôpital. C’est son préparateur et équipier Pierre Lenormand qui prend la relève au pied levé. Jamais plus on ne verra Michel Malinovski s’aligner au départ d’une Route du Rhum.
La traversée de l’Atlantique « à la française » est devenue une transat spectacle. Terminée l’époque où les bateaux se perdaient de vue une fois la ligne de départ franchie et ressurgissait de la brume sans prévenir. La course au large dispose désormais de moyens de communication de plus en plus élaborés.
Depuis 1982, les bateaux sont munis du système de balise Argos qui transmet en permanence le positionnement des bateaux par satellites. A bord des navires, chacun y va de son invention pour mieux communiquer durant la course (et satisfaire les sponsors) mais aussi pour se sentir plus en sécurité.
Quelques jours avant le départ, Loïc Caradec et son catamaran Royale, une fois et demie plus vaste qu’un court de tennis, aimantent les médias. Le marin, ingénieur de formation, se passionne pour la sécurité à bord des multicoques. Il en fait son support de communication et justifie ainsi sa place de « skipper en solitaire » sur une machine aux mensurations aussi délirantes.
Le jour du départ, frêle silhouette en ciré blanc, Caradec n’a pas tremblé en montant à bord de son catamaran. Il a laissé ses équipiers quitter le navire quelques secondes avant le coup de canon, une fois la grande voile établie.
«Le cinquième jour ne s’est jamais levé pour Loïc Caradec. »
Le grand catamaran à déboulé dans le chaos d’Ouessant. « Le vent piaulait à 50 nœuds. La mer était effrayante. Eric Tabarly, le roc aux 500 000 milles, restait prostré sur sa couchette, malade comme un chien pendant vingt quatre heures. Caradec fonçait en tête » raconte en 1986 Olivier Péretié dans les pages du Nouvel Observateur.
Il poursuit : « Caradec fonçait dans le ventre de la dépression avec un culot sidérant. Les deux premières nuits ont été éprouvantes avec des grains très violents, annonçait-t’il, parfaitement détendu. Le troisième jour, pour fêter sa première place, il arrose de Bordeaux un canard aux navets. Le quatrième jour, il régate finement pour contrôler Fleury Michon. Le cinquième jour ne s’est jamais levé pour Loïc Caradec. »
En arrivant sur les lieux du drame où seule l’épave du catamaran Royale continue à flotter, Florence Arthaud va devoir trouver l’énergie et la force de poursuivre la course. « La route, c’est par là, on n’a pas le choix. Le plus dur, c’est sans doute de ne pas pouvoir en parler ».
Philippe Poupon à lui aussi subi les affres de la tempête. Au total, plus de la moitié de la flotte est contrainte à l’abandon. Jamais une édition de la Route du Rhum ne sera aussi dévastatrice.
Poupon plonge vers le sud. Il accélère et creuse l’écart avec ses poursuivants les plus proches, Bruno Peyron, Lionel Péan et Mike Birch.
Son avance lui offre un peu de répit. Poupon s’adonne à son tour à la mise en scène… de lui-même, avec sa caméra embarquée.
Dans la nuit antillaise, Philou coupe le premier la ligne d’arrivée de cette troisième Route du Rhum. Quatre années plus tôt, il avait pourtant maudit cette course qui l’avait tant fait souffrir, envisageant de ne plus s’y frotter à son arrivée à Point-à-Pitre. Mais le destin et son entêtement en décidèrent autrement.
Poupon est seul dans la victoire, Bruno Peyron n’arrivera que 48h plus tard. Mais surtout, son triomphe est entaché par la disparition de son ami Loïc à qui il va dédier sa course.
Mal à l’aise avec l’univers des médias, Philou se prête malgré tout au cinéma que lui impose son nouveau statut, celui de troisième homme a remporter une Route du Rhum.
Le lendemain de l’arrivée de Philippe Poupon, deux jeunes marins vont à leur tour attirer la foule de journalistes présents à Point à Pitre.
Ils viennent de traverser eux aussi l’Atlantique sur une embarcation quatre fois plus petites que celle du vainqueur. Un petit catamaran Hobie-cat grand comme une table de ping-pong. Leurs pieds et leurs mains sont mangés par le sel.
L’un de ces deux fêlés reviendra victorieux sur la route du Rhum
Les deux jeunes Robinson vont arriver dans la marina voisine du bateau de Poupon en pagayant avec une boite en plastique parce qu’il n’y a plus de vent.
Ils ont à peine vingt ans et ont réalisé un exploit qui semble les dépasser : naviguer vingt-deux jours depuis les Canaries avec des creux de 6 mètres. Ils ont joué les funambules, suspendus à leur gréement pour empêcher leur minuscule embarcation de chavirer.
Philippe Poupon viendra les accueillir. Ils connaitront eux aussi leur heure de gloire, interviewés par les médias. Personne ne s’imaginera que l’un de ces deux fêlés reviendra victorieux sur la route du rhum quelques années plus tard.
Laurent Bourgnon vient d’entrer dans le monde de la course au large.
Comme en 1982, Bruno Peyron monte sur la deuxième marche du podium.
Philippe Poupon, à l’apogée de sa carrière, tient sa revanche après avoir été déchu de son titre dans la Transat anglaise, deux ans plus tôt.
Quatre ans plus tard, il reviendra sur le Rhum et finira à la seconde place, derrière son amie Florence Arthaud