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Au départ de la route du Rhum 2006, un homme se sent fort. Il le dit à la presse, à son entourage. Situation d’autant plus cocasse que ce marin-là est plutôt habitué à se fondre dans l’arrière plan.

 

Etonnament donc, Lionel Lemonchois assume et semble même prendre plaisir à être dans les favoris de cette 7éme route du Rhum. Il connait sa chance. On lui a confié une monture de choix, le Gitana 11 de l’écurie Rotschild.

 

« Au début, ça a pu en faire sourire certains. Lionel Lemonchois, à bord d’un bateau du baron Benjamin de Rotshild, c’était un peu comme Henri Krasucki reçu à l’Elysée : le choc de deux mondes » peut-on lire dans l’Equipe. 

 

Lionel a 46 ans et des paquets de milles nautiques dans les pattes. Compagnon recherché dans toutes les courses en équipage, cette fois, il prend le large en solitaire.

 

Ce qu’il attend depuis longtemps.

La Route du Rhum 2002 a laissé des traces indélébiles.


La vague de chavirages et de fortunes de mer a déclenché une salve de critiques, certains allant jusqu’à remettre en cause la pratique du solitaire sur des machines surpuissantes telles que les trimarans. Pour autant, les marins passionnés se sont accrochés. « Le multi agit comme un aimant. Plus tu en fais, plus tu éprouves une sensation de maitrise et de fierté » explique Thomas Coville.


Les naufragés du rhum 2002 ont bossé. Ils ont acquis de l’expérience, renforcé leur bateau, appris à mieux anticiper. Ils se sont préparés, comme des athlètes, à affronter les éléments.


A l’image d’un Yvan Bourgnon, robuste gaillard de 35 ans, certains affinent leur préparation physique et mentale avec un coach.


Cinq à sept nœuds de vent. On repassera pour la montée d’adrénaline devant le Cap Fréhel. Le départ de la 8éme route du Rhum se joue dans la pétole.


Les premières vingt-quatre heures sont, de ce fait, usantes. Il faut être au taquet afin de ne pas se laisser décrocher. Les 74 skippers multiplient les manœuvres, les réglages. Il faut guetter la moindre risée.


Puis ce sont les options de routages que l’on voit apparaître sur l’échiquier. Cammas, Bidégorry et Desjoyeaux optent pour une trajectoire nord. Coville et Lemonchois répondent à l’appel du Sud sur une route plus directe. 

La situation météo est exceptionnelle, les marins s’amusent 

Passée cette entrée en matière plutôt mollassonne, les choses sérieuses peuvent commencer. A terre, les tacticiens routeurs ont la banane.


D’ordinaire, une Route du Rhum, c’est d’abord les dépressions d’Ouest dans le Golfe de Gascogne puis les alizés qui poussent les bateaux au portant vers le soleil des Antilles. Cette fois, c’est un flux d’Est qui emporte les navires jusqu’aux Açores. Puis les alizés prennent le relais.


On a rarement vu une situation météo aussi avantageuse. A bord des multicoques, les flotteurs commencent à prendre de l’altitude, les marins s’amusent.


Lionel Lemonchois allonge la foulée, chaque jour un peu plus. Il avale 475 milles en 24h : « Je m’éclate. Je savais qu’il fallait être dessus au départ pour ne pas se faire distancer et attraper le bon ascenseur pour les Antilles. Le bateau file à tout allure, c’est un vrai bonheur ».


Derrière, ça commence à tirer la langue. 

Le marin ronflait tandis que son bateau avalait les milles

Personne « n’ose » comme Lionel. Le normand est bouillonnant d’énergie. Il appuie, encore plus fort.


Ses communications avec l’extérieur sont assez limitées, sauf quand il s’agit de mettre un coup au moral de ses adversaires. Un après-midi, ses équipes à terre tentent de le joindre en vain. Lionel est aux abonnés absents. Quatre heures plus tard, enfin, le voilà qui répond. Un problème ?


Le marin ronflait tandis que son bateau avalait les milles. De quoi dégouter ses petits camarades qui cravachent dur derrière. 

Peyron organise une opération à terre et en hélico pour repérer les zones déventées 

A chaque pointage, Lemonchois enfonce le clou et creuse l’écart. Il veut aborder sereinement la fin de course et ne pas risquer de se faire piéger à l’approche de l’archipel. Notamment par le volcan de la Soufrière.


Il culmine à plus de 1000 mètres et provoque de terribles dévents. Le tour de la Guadeloupe en a coincé plus d’un, à commencer par Michel Malinovski en 1978.


Pour éviter une telle mésaventure, Loïck Peyron alors responsable du team Gitana sort les gros moyens. Il organise une opération de repérage depuis la terre, et en hélicoptère pour indiquer au skipper les éventuels zones à bannir de sa trajectoire. 

Finalement, à quelques heures de son arrivée, le plus gros souci de Lionel Lemonchoix tient en quelques mots : son retour victorieux sur terre. « Pour l’instant je suis dans mon cocon. Je me sens bien protégé de tout ça mais dans quelques heures, je sais que ça va s’arrêter. »


Lionel est heureux en mer. Ses camarades de bataille navale sont unanimes : si être marin, c’est aimer la mer et se retrouver sur l’eau, alors Lionel est un vrai marin. Sur les ondes, les compliments tombent en pagaille. « Lionel fait l’unanimité chez les skippers, ce qui est rare. C’est la victoire de ceux qui croient aux belles histoires humaines » lâche Thomas Coville.


Pascal Bidégorry, deuxième de la course, ne tarit pas d’éloge sur son ex équipier modèle.


« Lionel a été le plus tueur de nous tous. C’est un super marin, entier, qui a sa personnalité. Il n’impose pas son système de pensée ni ses bottes qui puent ».

Les larmes du champion coulent 

Cette vague de reconnaissance va porter Lionel Lemonchois dans l’épreuve tant redoutée.


Dans la nuit Guadeloupéenne, Lemonchois parvient à s’amuser, se frottant régulièrement les yeux tant la chose lui semble irréelle.


Au cœur de la fête antillaise, un journaliste lui demande « Lionel, ça t’a fait quoi de savoir que tous les marins encore en mer se sont réjouis de ta victoire ? » Lemonchois marque un temps d’arrêt. « C’est fort ». Silence. « Je suis ému ». Re-silence. « Je les en remercie ». Les larmes du champion coulent. 

Toujours en course, les monocoques vivent eux aussi un Rhum grisant.


Roland Jourdain mène la flotte devant son copain Jean le Cam. Pourtant, Bilou (surnom donné à Roland Jourdain) a eu quelques sueurs froides.


En milieu de course, il casse sa bôme et va devoir bricoler durant une douzaine d’heures. « J’en ai bavé, j’ai pris tout ce qu’il me tombait sous la main pour réaliser un emplâtre ». Les lattes de secours, les montants des bannettes, le siège de la table à carte… Il n’y a plus rien à l’intérieur du bateau. « On a l’impression que les huissiers sont passés. Mais je pense que ma bôme aura sa place au musée d’Art Moderne ».


La dernière journée de mer est un calvaire. « Comme supplice asiatique, on peut difficilement trouver mieux que le tour de la Guadeloupe, avec des adversaires aux fesses et la pétole qui t’attend ».

Bilou ne se laissera pas piéger et devant son ami Jean, il décroche sa première grande victoire en solitaire. 

Lionel Lemonchois a frappé fort sur cette Route du Rhum. A peine une semaine pour traverser l’Atlantique en solo : 7 jours, 17 heures, 19 minutes et 6 secondes. Un record vraiment record, qui, comme tous les chronos, a vocation à prendre l’eau un jour. Mais quand ?


Le précédent record de Laurent Bourgnon (12 jours et 8h) a tenu deux éditions. Mais cette fois-ci, le chrono semble intouchable. On a alors envie de se retourner en arrière, de regarder le passé.


On se souvient alors des 23 jours de traversée, le temps établi par Mike Birch lors de la 1ère route du Rhum.


En trente ans, l’accélération à été démentielle dans l’Atlantique.