Les hommages seront dithyrambiques pour saluer la victoire de Florence Arthaud dans cette quatrième Route du Rhum. Près de 25 ans plus tard, un marin tel que Franck Cammas n’hésite pas à comparer le sacre Arthaud à la victoire de Tabarly dans la transat anglaise en 1964. Deux événements sans doute majeurs dans l’histoire de la voile française.
Parmi les plus jolies déclarations écrites au lendemain de l’arrivée de Florence Arthaud en Guadeloupe, il y a ces quelques lignes parues dans Libération et signées Olivier de Kersauzon : « Sa course, ce n’est pas un accident. Depuis des années, elle creuse son tunnel. Peut-être que grâce à elle, des petites filles auront envie de devenir marins. Mais c’est surtout une belle histoire qui lui appartient.
Ce métier recèle d’une capacité d’émotion authentique. Il y a des rêves, des échecs, des victoires et des morts. Et rien de plus beau qu’un bateau qui marche bien. La mer permet de voir entre les vagues qui est qui. Pour Florence nous on savait. Maintenant, vous, vous le savez aussi ».
L’amertume de Mike
En seconde ligne, la bagarre sera magistrale. Avant la nuit, la messe semblait dite. Mike Birch menait la procession suivi de Philippe Poupon et très loin là-bas, de Laurent Bourgnon. Mais pendant le tour de la Guadeloupe, Birch va connaître un trou de vent. Un phénomène nerveusement très difficile à supporter qui va le scotcher.
Douze ans après sa victoire dans la 1ère Route du Rhum, Birch se retrouve cette fois-ci à la mauvaise place, victime à son tour des humeurs du vent tropical. Poupon va le passer dans l’obscurité. Et Bourgnon aussi. Onze minutes sépareront les deux hommes sur la ligne d’arrivée. La 4ème place a un goût très amer pour Mike.
La pointe de la Vigie, Florence connaît. Avec ses deux poursuivants, Birch et Poupon, Florence est la seule candidate encore dans la course à avoir accompli les quatre éditions du Rhum.
Elle sort de la cabine, le regard fixé droit devant. Avec le coucher de soleil, le bateau doré scintille sur l’océan, son océan. L’inquiétude ne la quitte pas. Elle refuse de lever les bras en signe de victoire. Elle ne saute pas de joie, ni stress, ni excitation. Franchir la ligne, un point c’est tout. Florence fume.
Et puis c’est la nuit, Pointe à Pitre est là. « Voilà, c’est fait ».
Un journaliste se précipite sur le flotteur tribord de Pierre 1er. Les proches sont parachutés à bord. Florence rit, elle est heureuse, « mais faites attention, il n’y a plus de balancine » lance-t-elle au milieu du délire des retrouvailles à son équipe technique.
On danse sur le trampoline du trimaran doré. Maman Arthaud est là. Et bientôt son père, qui la porte telle une jeune mariée à l’arrivée à terre.
Amassée sur les quais, la Guadeloupe ovationne sa nouvelle héroïne.
L’affaire se complique lorsque Florence se retrouve rattrapée par une vilaine hémorragie au milieu de l’Atlantique.
Epuisée physiquement et coupée du monde, elle pense à déclencher sa balise de détresse. « Mais je me suis dit que cela ne servirait à rien. Le temps qu’on vienne me chercher, il serait trop tard. Et puis je n’ai jamais abandonné une course. Alors j’ai attendu que ça passe ».
Durant deux jours, Florence restera allongée, le bateau à la cape. Elle va se soigner avec des antibiotiques et remonter la pente.
Privée de pilote automatique, la voilà repartie à barrer son bateau 20h sur 24h. Florence est épuisée mais bientôt un avion la survole et lui apprend qu’elle est en tête de la course.
« Le temps que l’on vienne me chercher, il serait trop tard. Et puis, je n’ai jamais abandonné une course. »
Florence Arthaud
Si les choses étaient toujours simples et limpides en mer, ça se saurait. Alors Florence va morfler.
Pour livrer bataille avec ces deux principaux adversaires, Birch et Poupon, Florence se retrouve seule avec elle-même. Plus de radio, plus de communication avec son routeur, (« au moins, on n’est pas deux à se prendre la tête » pourra t-elle déclarer par la suite), plus de météo.
La navigatrice n’aura pas d’autres choix que de naviguer à l’ancienne. Des événements que la navigatrice va réussir à contrôler.
Sur les ondes, on se réjouit de la tournure que prend la course.
Au quatrième jour, Florence est en tête. La minerve a été rangée dans la soute. La force dans les bras revient, progressivement. La navigatrice surfe sur les vagues. Elle est heureuse et sûre d’elle. Ses choix de routes se révèlent payants. Florence pique au Sud. Poupon au Nord.
Bien loin de l’Atlantique, à Paris, madame Arthaud s’écorche les yeux à ne rien perdre de la course sur l’écran de son téléviseur.
« Départ canon. » L’expression ce coup-ci est loin d’être galvaudée. Florence Arthaud semble portée par les vivats qui ont accompagné sa sortie des écluses la veille au soir. Toutes ces femmes venues lui dire qu’elles l’admiraient.
Laurent Bourgnon n’est pas loin. Il a le même bateau que Florence. Le benjamin de la course ne fait pas semblant, il est là, aux avant-postes de la flotte. L’envol est parfait les deux premiers jours. Et puis c’est la tuile. Un choc, une voie d’eau dans le puit de dérive, une pompe de cale qui ne répond plus.
Le bateau se remplit d’eau, très vite. Laurent garde le sourire, face caméra. On en rigole un peu dans la presse, les pieds dans l’eau, les « Schadocks », tout ça… En coulisse, il s’épuise à pomper toutes les heures pour maintenir son bateau dans la course.
Olivier de Kersauzon lui va rester sur le quai. Une péritonite mal cicatrisée le prive d’océan alors que son bateau était prêt. Yves le Cornec, dit Mickey, est aux anges. Kerso lui confie son trimaran dans un monde où le sponsoring s’est essoufflé. Une chance que le jeune Mickey ne laissera pas passer.
Dans une tribune que lui ouvre alors le journal Libération, Kersauzon raconte : « Un départ de course, quand on reste sur le quai est toujours un moment douloureux, mais il faut quand même relativiser. Hier dans un bistrot, j’ai vu au mur une photo jaunie où je suis en compagnie d’Alain Colas. J’ai quand même quelques copains qui aimeraient bien être à ma place, être au bord du bassin, vivants. Si j’avais eu cette péritonite en mer, je serai mort. C’est quand même une raison de ne pas tout voir en noir ».
En lot de consolation, Kersauzon est promu « consultant amuseur » sur le plateau de télévision de l’émission Thalassa. Durant toute la course, il va se réveiller aux aurores (voire ne pas dormir…) pour commenter et analyser avec finesse et ironie les stratégies de ses frères et sœurs marins.
Cette fois-ci, à quelques jours du départ de son quatrième Rhum, Florence Arthaud est mal en point. Sous un foulard Hermès, elle camoufle une minerve qui maintient ses vertèbres cervicales amochées. Malgré les avis médicaux, elle s’obstine à partir.
Depuis plusieurs mois, elle enquille les séances de kiné. Si le corps peut donner l’impression de lâcher, l’intérieur de la carapace est en acier. Florence part pour gagner.
Florence en a dans les tripes
Douze ans ont passé depuis cet anniversaire sur les pontons où Florence coupait avec difficulté un gâteau pour fêter ses 21 ans. La navigatrice a fait du chemin, rappelant à chaque course qu’elle en avait dans les tripes.
Enfant, Florence a passé toutes ses vacances au bord de la Méditerranée. C’est là qu’elle va tirer ses premiers bords et se plonger la tête la première dans la passion familiale : l’aventure maritime.
A Saint-Malo, les gens viennent et reviennent. Une foule en ciré, assoiffée par l’envie de découvrir ces machines à faire rêver ou à faire peur. Un Rhum tous les quatre ans, ça ne se rate pas. Il faut « voir » les marins, sentir le vent, la pluie, la grêle qui les emportera de l’autre coté, là où il fait chaud.
Quatre années plus tôt, la moitié de la flotte a été condamnée dans la tempête. Un homme est mort.
Alors pour la première fois depuis sa création, le Rhum se veut raisonnable.
S’il était « interdit d’interdire », il sera désormais nécessaire de rentrer dans le rang. La crise économique aura eu la peau de la folie des grandeurs. Effacé le « no limit » à la française. Désormais, la taille des bateaux est limitée à 18 mètres. Trente-deux marins dont deux femmes sont au départ.